je reviens vers vous avec une nouvelle que j’ai titrée « Cantine »
Il s’agit d’une maman de cinq enfants qui a oublié d’inscrire ses enfants à la cantine de leur école, étape obligatoire, pour que les élèves puissent y être accueillis. Ceux de cette maman, malgré son oubli ont quand même mangé à la cantine, mais pas sans conséquence: la maman devra payer des pénalités en plus du prix des repas. Elle décide donc d’écrire au maire de sa ville pour expliquer son cas.
Monsieur le mer Maire,
Si je commence par une faute d’orthographe, ça va pas le faire ! Mais tant pis, c’est avant tout le fond de ma lettre qui compte, pas la forme.
Voilà : Je suis Jocelyn Chantilly, la maman de Leslie, Lalie, Stevie, Anthony (je l’appelle Toni), et Yoni mon petit dernier. Ils vont tous à l’école du Hautbois ; sauf mon petit gars Yoni qui vient cette année de débuter son adaptation chez la nounou. D’ailleurs, j’en profite pour glisser comme ça, en passant, que je n’ai pas obtenu de place en crèche malgré mes multiples relances au service petite enfance… peut-être que vous pourriez peut-être jeter un œil bienveillant sur mon dossier…
Cependant, si je viens à vous aujourd’hui, c’est pour une tout autre raison. Je souhaiterais vous faire part d’une situation que je juge injuste et injustifiée. La démarche que vos employées m’ont conseillé d’entreprendre, serait de vous adresser une lettre afin de vous exposer la situation. Peut-être ont-elles cru que le fait d’écrire à un maire me refroidirait, et que j’approuverais de ce fait une situation que je n’ai pas souhaitée. Que Neni, monsieur le maire: me voici !
Comme je vous l’expliquais tantôt, quatre de mes enfants sont scolarisés au Hautbois. Et comme j’étais jusqu’à récemment une mère au foyer, jamais ils ne déjeunaient, pour leur plus grand bonheur et surtout leur plus grand bien, à la cantine. Entre nous monsieur Le Maire, si on compare des repas faits maison par l’excellente cuisinière que je suis et la nourriture de masse que vous servez à nos enfants, il n’y a pas photo…. Ainsi, tous les jours, j’allais chercher mes enfants à 11h30 à l’école. Nous mangions ensemble à la maison, nous retournions à l’école à 13H30 et je revenais les récupérer à 16h. J’aurais pu aller à l’école les yeux fermés, monsieur le Maire. Cette routine a été mon quotidien jusqu’à très récemment. Figurez-vous que ma plus grande, Leslie, qui vient d’entrer au CM2, va à la cantine pour la première fois de sa vie. Et moi, j’entrevois pour la première fois, une vie parallèle à ma vie de maman. C’était quoi ce quotidien qui se résumait à faire des aller-retour (école- maison/maison-école), tous les jours, comme un robot télécommandé ? Cette vie à ne respirer que pour et par mes enfants ? Et moi, je devenais quoi dans tout ça ?
Et ce n’est pas fini, monsieur Le Maire, permettez-moi de vous raconter la suite de ma journée. Lorsque j’avais les enfants avec moi à 16h, je goutais avec eux – bonjour les kilos en trop et les joggings jamais trop larges pour moi ! – Je m’occupais des devoirs, je cuisinais notre repas du soir, nous dinions, j’envoyais les plus grands à la douche, je donnais le bain aux plus petits, et ils allaient tous au lit avec ou sans la petite histoire du soir. Puis, quand je n’étais pas trop crevée, quand je ne tombais pas de fatigue, je passais un coup de fil à mon mari qui se trouvait dans je ne sais pas quel pays. Et le lendemain, on reprenait tout pareil, sans rien changer ; la routine monsieur Le Maire.
Sauf que la fatigue, elle, elle n’était pas la même, monsieur Le Maire. Elle, elle se rajoutait au fil du temps ; elle, elle me grignotait mes envies, mes espoirs et mon horizon tous les jours un peu plus. C’est pourquoi, même si je les adore mes enfants, j’en ai un peu marre d’être celle qui couve pendant que monsieur parcourt le monde à bord de son camion. C’est vrai, jusqu’à présent, ça m’arrangeait d’affirmer « je n’ai pas de diplôme, j’ai des enfants » mais aujourd’hui, je dis : « Stop ! J’ai envie d’exister ! »
J’ai donc commencé à me renseigner sur internet. Je me suis demandé ce que je voulais vraiment faire de ma vie. Est-ce que celle-ci n’avait vraiment aucun sens sans mes enfants ? Quel était mon rêve lorsque j’étais petite fille ? Y avait-il une chose que j’aimais réellement ? Je n’ai pas eu à réfléchir longtemps, monsieur le Maire. La réponse est venue à moi comme une lettre à la poste (bien sûr lorsque le postier n’est pas malade) : la pâtisserie. Oui, la pâtisserie, monsieur Le Maire ! C’est ça qui m’plait, c’est ça qui m’a toujours passionnée. Je me suis donc inscrite à un cap pâtisserie, et par la même occasion, le quotidien des enfants s’en est trouvé bouleversé : dorénavant, ils vont à la cantine tous les jours. Je les ai même inscrits à l’accueil périscolaire, moi qui n’avais jamais loupé une sortie d’école de leur vie !
Et moi, oui Monsieur Le Maire, et moi, je revis derrière mes gâteaux !
Mais je m’égare là, je sais… mais bon, pour une fois que j’ai l’occasion d’écrire à un maire, il faut bien que je prenne le problème par la racine ; sinon, vous n’y comprendrez rien, et vous m’appellerez pour un rendez-vous que je ne pourrais pas honorer. rappelez-vous, j’ai cap pâtisserie !
J’en arrive enfin au début de mon histoire. Je ne vous fais pas attendre plus longtemps, d’autant plus que la patience a des limites. Et celle d’une personnalité comme vous, occupée à résoudre nos problèmes, encore plus.
Donc un jour, alors que je courrais chercher mes enfants à l’accueil périscolaire, un animateur a souhaité me parler. J’ai regardé comme par réflexe Leslie, Lalie, Stevie et mon turbulent Toni pour essayer de trouver dans leurs yeux la nature de la catastrophe qu’ils auraient pu causer. Puis, J’ai pensé à Yoni qui m’attendait chez la nounou ! J’étais agacée. C’est vrai, c’est quand on est pressé qu’il y en a toujours un sur notre route pour nous ralentir. Bon. J’ai demandé à l’animateur le plus poliment possible d’aller droit au but parce que là, comme il pouvait bien le constater, je n’avais pas une minute à perdre. Il m’a donc informée comme ça, devant tout le monde, que j’avais oublié d’inscrire Anthony et Lalie à la cantine tout le mois de mars (on était fin mars !) et que du coup, je serais majorée de 75 % le plat… hein ? Je suis restée sans voix, et je peux vous certifier qu’à moi, ça arrive rarement monsieur Le Maire… J’ai réfléchi à la vitesse grand V, essayant de me rappeler le moment où j’avais inscrit les enfants sur votre site internet tout neuf. C’est vrai que j’avais eu du mal avec votre logiciel, mais si ça avait marché pour Leslie et Stevie, pourquoi pas pour Toni et Lalie ? j’ai donc voulu qu’il me confirme s’il s’agissait de Toni et Lalie ou de mes quatre enfants ? il m’a répondu la moitié. La moitié de quoi ? J’ai rétorqué. Ben juste deux sur les quatre, il m’a dit, comme si mes enfants étaient des parts de gâteau ! Monsieur le maire, une petite parenthèse : vous formez vos animateurs à s’occuper de nos enfants, mais il faudrait sans doute rajouter un cours supplémentaire sur l’art et la manière de parler aux parents, parce que là, c’était limite ! Bon en attendant, je me suis défendue comme j’ai pu. Ça ne pouvait être qu’une erreur …sinon, pourquoi n’aurais-je inscrit que deux de mes enfants à la cantine alors que j’en ai quatre qui y mangent ? Il m’a répondu que c’est précisément pour cette raison, qu’ils avaient quand même accueilli Anthony et Lalie à la cantine, ces jours où ils n’y étaient pas attendus, mais que je devrais payer pour cela une pénalité équivalente à 75 pour cent du prix du repas en plus, par jour et par enfant. L’animateur m’annonçait cela comme s’il m’informait qu’il allait faire beau toute la semaine : l’air de rien ! J’ai donc enragé : Pourquoi avez- vous attendu la fin du mois pour m’en parler ? Ne pouviez-vous pas me signaler ce problème dès le début ? Maintenant, ça vous arrange bien de me faire payer 40 repas surfacturés..
Et vous savez ce qu’il m’a répondu, Monsieur Le Maire ? Juste ça :
« Voyez avec la mairie ! »
Bon, je n’ai pas discuté plus longtemps, Monsieur Le Maire. Parce que la nounou de Yoni, elle, elle ne plaisante pas. Vous arrivez avec une minute de retard, elle vous la fait payer. Et ce n’est pas négociable.
Je suis rentrée à la maison avec ce problème sur le dos, monsieur Le Maire. J’ai fait manger les enfants, aidé pour les devoirs, donné les bains aux plus petits. Il y en avait une qui avait encore grandi, ma plus grande Leslie. À elle, sans faute, il faudrait que je lui rachète des vêtements. Elle n’a pas de grande sœur donc pas de système D. Puis ce week-end, c’est l’anniversaire de Stevie, il ne faut pas que j’oublie son cadeau. Je lui dirai que c’est de la part de son papa. Parce que mon mari, il est bien brave, monsieur le Maire, mais les anniversaires, il n’y pense jamais. En réalité, il n’a jamais oublié l’autre…
L’atmosphère des jours suivants a été très lourde, monsieur Le Maire. Dès que cette histoire de cantine traversait mon esprit, je me sentais tout d’un coup très mal. Je me mettais à parler toute seule, comme si j’avais devant moi la dame de votre mairie. Pour moi, c’était clair et net que je ne payerai pas la pénalité de 75 % par repas, et j’avais hâte que cette histoire soit derrière moi.
Mais finalement, à la mairie, dans le bureau où c’est marqué « service scolarité », l’entrevue ne s’est pas déroulée comme prévu.
– Que puis-je faire pour vous ? m’a demandé une femme à lunettes.
– Je viens parce qu’il semblerait que j’ai un souci avec deux de mes enfants… je veux dire… un souci de réservation de cantine pour le mois de mars, je lui ai expliqué en choisissant soigneusement mes mots.
Et la dame derrière son bureau qui me demande mon nom, pianote sur son ordinateur et puis m’annonce avec le sourire : Oui, vous devez payer 78 euros en plus, parce que vous n’avez pas effectué les réservations de la cantine de Lalie et Anthony Chantilly tout le mois de mars.
Et moi qui lui explique : Mais si madame ; je pense bien avoir effectué les réservations pour mes quatre enfants.
Alors, montrez-moi, les mails de confirmation que vous avez dû recevoir dans votre boite mail et on ne tiendra pas compte des pénalités.
J’ai regardé mon téléphone vite fait ; mais je me suis rappelé que je recevais ces mails dans mes spams et que ceux-ci se vidaient automatiquement tous les jours ;
J’ai fait part de ce détail à la dame tout en rajoutant que ça ne pouvait être qu’un simple oubli de ma part car mes deux autres enfants avaient bien été inscrits.
– Que voulez-vous que je fasse ? a-t-elle rétorqué. je n’ai pas le pouvoir d’annuler les pénalités
– Et c’est qui qui l’a ? je l’ai questionnée.
– Monsieur le maire ! a-t-elle lancé.
Tout me ramenait à vous Monsieur Le maire !
– Il faudra lui écrire, a rajouté la dame. Quel métier exercez-vous, d’ailleurs ?
– En quoi est-ce important, je lui ai demandé ?
– Peut-être que si vous travaillez de nuit, le maire se montrerait indulgent envers vous. Il pourrait comprendre que c’est la fatigue due à votre profession qui a causé cet oubli, et il annulerait ainsi les pénalités. Donc à l’appui de votre courrier à Monsieur Le Maire, vous joindrez une attestation de votre employeur qui stipulera le métier que vous exercez et vos horaires de travail, a poursuivi la dame.
J’ai cru rêver. j’étais interloquée :
Etre maman de 5 enfants, ça pourrait peut-être expliquer aussi certaines choses, non ? J’ai lancé à la dame.
Elle m’a répondu, écrivez au maire !
Le débat était clos.
Et comme votre machine à gérer la file d’attente était en panne, la dame a crié : « Personne suivante ! “
J’étais là, debout, bouche bée, avec mon problème qui n’était toujours pas résolu. Je n’en revenais pas qu’elle l’ait expédié aussi simplement ; et puis, c’était quoi cette histoire de travail de nuit ? Cinq enfants, c’est jour et nuit, monsieur le Maire ; cinq enfants, c’est une vie qui se met l’air de rien entre parenthèses, monsieur Le Maire ; et puis quand tu t’en rends compte, t’as de la peine à enlever le Jogging, parce que tu t’y es habituée et parce que tu ne te vois plus autrement. Cinq enfants, c’est être certaine d’avoir terminé une démarche alors qu’on en a oublié la moitié.
Oui, je vous vois bien me demander, ben alors madame Chantilly, sans vouloir vous manquer de respect, pourquoi en avoir fait cinq, des enfants, hein, si vous vous plaignez de cette manière? Alors je vous réponds tout de suite : mais de quoi je me mêle monsieur Le Maire ? Vous ai-je demandé de l’argent pour les élever, moi ? Je vous demande juste de ne pas m’en prendre plus que nécessaire. Et si vous voulez tout savoir, avant Leslie, il y a eu un premier. Mon petit Sony que je n’oublierai jamais. Il était le portrait craché de son papa. Un matin Sony, qui venait d’avoir huit mois ne s’est pas réveillé. Il est parti, mon Sony ! Mon mari n’a jamais supporté l’absence de Sony. C’est à partir de là, qu’il a commencé à faire des trajets longs avec son camion. Il n’arrivait plus à dormir. Il devenait fou. Il tournait en rond. Il criait tout seul. J’ai eu peur de le perdre, mon mari. Mais en fin de compte je l’ai quand même perdu un peu. Moi aussi, j’ai cru mourir, monsieur Le Maire. Et c’est Leslie qui m’a permis de survivre. Et puis, inconsciemment, je pense que j’ai voulu retrouver Sony à chacune de mes grossesses. J’ai voulu qu’il revive et que mon homme retrouve la paix. Mais non, monsieur Le maire, lorsque ma jolie Leslie est arrivée, il a compris que Sony ne reviendrait plus. Et lui, il est parti sur les routes. Il m’envoie de l’argent pour m’occuper des enfants. Il revient parfois, veut savoir si nous allons bien sans vraiment y prendre garde, puis il repart. C’est un brave homme mon mari, monsieur Le Maire, mais un brave homme paumé.
Moi, j’étais paumée tout autant que lui, monsieur Le Maire. Mais mes enfants m’ont aidée à reprendre la route, mais pas avec un camion. J’ai de nouveau pu me lever tous les matins, et ce cap pâtisserie m’a sauvée la vie. Je vois un peu de lumière, monsieur le Maire. Je ne supporte plus mes joggings et mes t-shirts difformes. J’essaye d’avancer, parce que je veux que mes enfants me voient autrement que comme cette maman qui a renoncé à tout et surtout à elle-même. C’est cette femme que je veux montrer à mon mari lorsqu’il viendra aujourd’hui. Et peut-être que ça lui donnera moins envie de repartir.
Je vais m’arrêter là, monsieur Le Maire, parce que je ne veux pas être trop longue, de toute façon, je n’ai plus de papier. Je suis bien contente de vous avoir écrit. J’espère que vous me lirez et que la suite du dossier me sera favorable. Après, je payerai ma cantine sans retard comme je l’ai toujours fait.
Toutes mes salutations, monsieur Le Maire et mon profond respect.
Cordialement.
Jocelyn Chantilly.
D’autres nouvelles à lire ou relire sur ce blog:
Coucou venessa ! Une fois de plus j’ai apprécié lire cette nouvelle…
Elle a un sacré tempérament ton héroïne et je dirai qu’elle serait tout à fait capable d’être une Maire…
Pourquoi pas ? Elle est intelligente et audacieuse. Elle est tout simplement vraie… Il en faut des personnes comme elle sur cette Terre…
J’ai adoré lire sa lettre…
Monsieur le Maire ne pourra pas lui refuser sa demande… Impossible !!!
Merci encore pour ce partage si frais et rempli d’humanité…
Gros bisous à toi💕💕💕💕💕💕💕💕💕💕💕💕💕
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Oh Oui Cécile, j’aime bien cette Jocelyn aussi.une battante qui fait tout pour avancer. Elle m’a aussi beaucoup émue pendant que j’écrivais cette nouvelle.
Merci Cécile de me lire. Ça me va droit au coeur. Bisous ma Cécile 🌞😘
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Merci .Venessa .Il y a beaucoup d’humanité et de vérité dans ta nouvelle ; comme toujours vivante et bien écrite
.
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Merci Sis !!!!❤
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C’est la première fois que j’ai eu l’occasion de lire cette nouvelle. tu as les felicitation de ta mama. Suis enchantée de ton talent d’écriture , c’est fantastique. Va de l’avant ma cherie. Bravo
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Merci maman ❤❤❤❤!!! Je ressemble à une femme que j’aime énormément et qui m’inspire lorsque je me lève tôt le matin pour écrire les pages de ma vie. ❤
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