Je suis heureuse de partager avec vous la première partie d’une nouvelle que j’ai écrite. Deux hommes ayant deux parcours de vie totalement différents se rencontrent dans le métro, par hasard…
Le titre: le goût de la liberté
Montparnasse Bienvenue
Une voix féminine préenregistrée a annoncé le nom de l’arrêt, invitant ceux qui le souhaitaient à descendre.
En posant mes pieds sur le quai, je n’ai pu empêcher mon regard d’accrocher ce mot ; « bienvenue »
La grosse rigolade.
Bienvenue à qui ? À quoi ? j’y étais depuis longtemps déjà, pas besoin de me dire bienvenue. Ça va ! J’avais compris. Je ne m’en sortirai sans doute jamais. Ça avait été encore la grande désillusion aujourd’hui. De l’espoir toujours. Parce qu’on arrive toujours à en trouver, même si la dose diminue au fil du temps. Et ensuite, le découragement, le questionnement, on se demande où on va, quelle sera la suite, si cette foi qui nous tient debout ne finira pas par s’envoler.
Et si on trouvera enfin sa place. Si elle existe.
D’ailleurs, il fallait sans doute commencer par là ?
Montparnasse Bienvenue.
Je me suis dirigé vers les escaliers roulants, d’un pas rapide. J’avais juste envie de retrouver ma femme et mes enfants. Ils me donnaient la force de tenir, de ne pas céder à la tristesse. Quand je voyais ces deux petites paires d’yeux fiers, attendant mes félicitations pour les bonnes notes ramenées. Je n’avais pas le droit de penser que ma place n’existait pas, même si parfois…
J’ai regardé les indications accrochées au plafond et j’ai suivi celles qui m’indiquaient le métro 4. Il fallait que j’atteigne Châtelet les Halles, pour ensuite emprunter le train en direction de la banlieue. Mon métro arrivait dans six minutes. J’ai pressé le pas, un peu comme tout le monde d’ailleurs. Oui, personne ne se regardait, ici. Personne ne se parlait. On s’habituait à ce bruit : ces pas qui descendaient, montaient, se hâtaient. Finalement, on était tous un peu transparents. Moi, j’ai aperçu une femme et un homme assis par terre, tendant une pancarte sur laquelle était écrit « immigrés Syriens », un bol à leurs pieds, invitant les passants à donner quelques pièces. J’ai également remarqué un homme debout en face d’eux, leur parlant en faisant de grands gestes. Les deux syriens semblaient lui répondre en hochant de la tête.
Que leur voulait cet homme ? Et puis, il devait avoir froid habillé comme ça en plein mois de janvier ! Un pantalon en lin élimé, les pieds presque nus dans des sandales ouvertes ; pas rasé, les cheveux ébouriffés… J’ai regardé ma montre… j’avais quatre minutes pour atteindre mon métro. Il me restait encore à emprunter le long tapis roulant qui devait bien mesurer 2 km de long. La force, j’en avais encore un peu pour courir et arriver chez moi au plus vite. Il fallait que je digère tout cela et que j’élabore d’autres stratégies. Peut-être postuler ailleurs… Je n’avais pas le choix. Il fallait bien que je…-
– Monsieur s’il vous plait ; je cherche la 4. j’ai demandé à ce groupe là-bas. Ils semblaient ne pas trop me comprendre.
Je me suis retourné vivement, et j’ai reconnu le monsieur qui parlait aux syriens. Donc il leur demandait son chemin ! C’était une blague ? Ça n’avait pas l’air. Son regard était si interrogatif, que j’ai pris le temps de lui répondre :
– Vous n’avez qu’à me suivre. Vous allez dans quel sens ?
– Je vais à Marcadet, mon frère !
– Alors, suivez-moi, nous prendrons le métro ensemble. Moi, je descendrai avant.
Le monsieur m’a suivi. Son air tranchait avec l’ambiance froide et impersonnelle du métro ; l’homme observait les alentours avec de grands yeux. On aurait dit des yeux d’enfants. Il semblait émerveillé. Tout lui paraissait nouveau. Un grand sourire sur le visage. À un moment, nos regards se sont croisés. Le sien était avenant. Bien différent du mien. J’étais triste. Je ressentais soudain une irrésistible envie de me confier à lui. Et sur le coup, j’ai senti des larmes monter. J’avais porté un bouclier depuis déjà presque un an pour ne pas être atteint par toutes ces flèches que m’envoyait la vie, sans pitié ; et là, devant cet inconnu, sans en comprendre la raison, je voulais poser mon fardeau, me soulager.
– Rien a changé ici, je l’ai entendu dire.
Pour lui, peut-être oui. Mais pour moi, ça n’allait pas en s’améliorant. Le mois prochain, je basculerai dans le RSA. Avec un crédit sur le dos…
Ma vie se résumait à des entretiens qui se soldaient par des promesses d’embauches, jamais tenues. Oui, bientôt, je n’aurais même plus droit au chômage. J’avais fait l’irréparable erreur de trop sourire aux entretiens d’embauche, ou pas assez. J’aurais du un peu plus accentuer mon anglais. On m’a dit une, deux ou trois fois que mon master obtenu à l’étranger posait problème. Pourquoi étais-je parti…puis revenu ? N’était-ce pas un signe d’instabilité ?… j’avais tout entendu : vos compétences sont trop éloignées de ce qu’on recherche… vous en savez trop, ou pas assez pour ce poste… et où habitez-vous? Ah ! Si on a des offres près de chez vous, nous vous rappellerons, mais pour ce poste-là, la distance domicile-travail est le critère principal de sélection… vous parlez trois langues ? C’est très bien, mais nous avons besoin de quelqu’un qui parle couramment le japonais… Vous appelez pour obtenir des nouvelles après votre entretien passé il y a un mois dans nos locaux ? Je suis désolé, mais nous avons trouvé quelqu’un d’autre qui correspondait mieux à nos attentes. N’hésitez pas à vous tenir informé de nos nouvelles offres sur notre site internet et à postuler de nouveau…
Et toutes ces fois où on m’avait promis le job du siècle…
Le métro 4 est arrivé. J’ai fait signe à mon accompagnateur de monter. Puis, je me suis précipité sur la première place de libre au fond de la rame. Je me suis assis, j’ai baissé la tête.
Et J’ai craqué.
– Qu’y a-t-il, mon frère ?
Je n’avais pas vu l’homme s’approcher. ni s’asseoir à la place libre en face de la mienne. Je laissais mes larmes couler en silence. J’ai sorti un mouchoir de ma poche pour m’essuyer le visage et je me suis ressaisi ; avais-je vraiment besoin de me donner en spectacle devant un inconnu?
– Ça va !
J’ai essayé de sourire. J’ai même tenté de plaisanter.
– Quelle idée vous avez eu tout à l’heure de demander votre chemin aux immigrés syriens, alors qu’ils ont juste besoin de quelques pièces et d’un bon toit?
– C’est qui les syriens ?
– Ceux à qui vous demandiez votre chemin ; ils viennent d’un pays en guerre.
– Ah !
– Vous ne suivez pas les informations ?
– Jamais ! d’ailleurs, je ne sais plus depuis combien de temps, je n’ai plus regardé la télé. Déjà même qu’avant, elle ne m’intéressait pas. J’étais trop occupé à faire n’importe quoi.
– Avant quoi ?
– Avant la prison. J’en sors tout juste.
Je suis resté interloqué. J’avais devant moi un taulard !
J’ai lu les deux parties de ton histoire et cela m’a émue…
Deux parcours différents mais deux hommes égaux qui sont honnêtes avec eux-mêmes…
L’un se méfiait au début de la rencontre mais toute son inquiétude et appréhension se sont vite dissipés lorsque l’autre homme lui a raconté sa vie dans les détails…
Ton histoire est porteuse d’espoir…
Il est vrai qu’on en oublierait presque que la vie est si précieuse… si unique qu’il faut savoir ouvrir ses yeux et son esprit pour mieux l’apprécier et ce malgré ses innombrables aléas…
Merci pour cette jolie histoire Venessa… Je l’ai vraiment appréciée…
Passe un agréable dimanche. Il fait encore beau dans ma région… j’aime tant le soleil et les petites choses simples de la vie… Gros bisous à toi
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Il est magnifique ton commentaire, Cécile. J’espère que tu vas bien aussi. J’ai pris beaucoup de plaisir à écrire cette nouvelle. Oui l’espoir, ne jamais en manquer! Et puis relativiser, car on peut toujours trouver une solution et changer le cours de nos vies.
Ici il a fait beau hier. J’espère que nous aurons du soleil aujourd’hui. Gros bisous à toi, Cécile ❤❤❤
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